Impact des moisissures et des mycotoxines sur la santé

Lorsque nous pensons à des menaces externes sur notre santé, nous pensons aux infections dues aux bactéries, virus et parasites.
Ces envahisseurs mal intentionnés viennent à notre rencontre, nous attaquent et sont ensuite éradiqués. Cependant, récemment, les scientifiques et les autorités sanitaires sont arrivés à un autre récit:

Certains agents infectieux sont toujours présents dans notre environnement – les moisissures – des champignons microscopiques qui nous pourvoient constamment en matières délétères:
Les spores de moisissures inhalées ou ingérées peuvent déclencher des réactions allergiques, voire coloniser le corps quand il est immunodéprimé, mais certaines moisissures peuvent également produire des mycotoxines, métabolites secondaires qui sont toxiques.

Qu’est-ce qu’une mycotoxine?

Les mycotoxines ne sont pas des organismes vivants, mais des métabolites secondaires des moisissures, de faible poids moléculaire (<1000 daltons), difficilement dégradables même par la chaleur. Certaines mycotoxines bien connues sont l’aflatoxine, la citrinine, les fumonisines, l’ochratoxine A, la patuline, les trichothécènes et l’ergotamine.
Sur des centaines de milliers d’espèces de moisissures, seules quelques espèces différentes peuvent libérer des mycotoxines toxiques pour l’homme et les animaux; il s’agit notamment d’Aspergillus, de Fusarium Penicillium et de Stachybotrys.

Tout d’abord un rappel historique de la prise de conscience collective du problème des moisissures.
Elle date de 2005 quand l’intoxication par les moisissures a été mis sur le devant de la scène à la suite de l’ouragan Katrina. :

Moisissures et ouragan Katrina

Lorsque les habitants de la Nouvelle-Orléans ont été rapatriés chez eux, ils ont développé la «toux Katrina», une toux qui ne disparaît pas, souvent associée à des sinusites, un nez qui coule, des maux de gorge, un reflux acide, du brouillard dans la tête ou des vomissements.
Depuis ce temps, les responsables de la Nouvelle-Orléans sont arrivés à la conclusion que le plus gros problème de santé publique sur place est la moisissure.

Une nouvelle terminologie populaire est alors apparue autour des moisissures et des bâtiments
–  » syndrome des bâtiments malsains « ,
– «moisissure noire toxique», alias Stachybotrys chartarum.
Et quelques appellations plus scientifiques ont vu le jour:
– «Maladies liées à la construction humide» (DBRI) [2]
– «Syndrome d’humidité et d’hypersensibilité aux moisissures» (DMHS)
– «Mycotoxicose à moisissures Mixtes» (MMM)
– «Syndrome de Réponse Inflammatoire Chronique» (CIRS)

Les effets des moisissures sur la santé

En 2004, l’American Institute of Medicine (IOM) a constaté qu’il y avait suffisamment de preuves pour lier l’exposition intérieure aux moisissures aux symptômes des voies respiratoires supérieures tels que la toux et l’asthme.

Mais déjà en 1999, une étude révolutionnaire de la clinique Mayo avait mis en évidence la présence d’organismes fongiques dans le nez ou les sinus de 96% de 210 patients atteints de rhino-sinusite chronique [6]. Cela suggérerait que l’écrasante majorité des cas de rhino-sinusite chronique ne sont pas viraux ou bactériens mais fongiques: ils n’ont pas besoin d’un traitement antibiotique mais nécessitent plutôt l’élimination des moisissures toxiques

Des recherches publiées récemment ont aussi mis en évidence des effets systémiques supplémentaires, par exemple des effets neurologiques dévastateurs allant d’un faible QI à la perte de mémoire et à la démence.

Premier exemple – dommages neurologiques chez les jeunes:
Une étude polonaise, qui a mesuré les scores de QI chez 277 enfants exposés à la moisissure intérieure pendant plus de deux ans, a montré des déficits de QI statistiquement significatifs par rapport aux autres [7]

Deuxième exemple – dommages neurologiques chez les personnes âgées principalement, mais aussi chez certains jeunes:
Un type spécifique d’Alzheimer : «Alzheimer inhalé» a maintenant été identifié. Contrairement aux deux autres formes, cet Alzheimer est traitable s’il est diagnostiqué. [8]

L’impact de l’inhalation de moisissures sur la thyroïde [9] est tout aussi souvent signalé, comme beaucoup d’autres impacts sur le systèmes immunitaires, neurologiques, cardiovasculaires, digestifs et endocriniens [2],[13].


Voies de contamination dans un bâtiment humide

Malgré cette reconnaissance, le débat scientifique reste ouvert sur les mécanismes exacts de contamination et l’hypothèse qui rassemble un consensus en ce moment est celle de la présence des mycotoxines en suspension dans l’air sur des spores, mais aussi sur des fragments fongiques [3][4].
Cette hypothèse mérite d’être évaluée de près, car la toxicité des mycotoxines inhalées est potentiellement beaucoup plus élevée que celle des mycotoxines injectées dans le sang. [5]

Les législateurs européens ont élaboré une norme d’exposition aux moisissures pour les appartements, en nombre de spores de moisissures par m3 , de 50 spores à + de 10 000.

Les variations saisonnières des taux de moisissures en extérieur

L’automne est propice au moisissures, et à Montréal par exemple,
le nombre le plus élevé de moisissures viables dans l’air extérieur s’observe au mois de Septembre, entre 2000 et 2500 unités formatrices de colonies par mètre cube d’air(UFC/m3), au minimum 4 à 5 fois plus que les autres mois de l’année [14]. Ceci pourrait donc contribuer à l’intensification de divers problèmes de santé en Automne.

Moisissures : le lien avec l’alimentation

Les mycotoxines peuvent également être présentes dans nos aliments quotidiens: elles sont produites avant récolte par certaines moisissures et se trouvent dans les céréales, les légumes, les épices, le café et les noix.
Une publication conjointe «Multi-Coop» de trois universités européennes a déclaré en 2019 que les seuils de mycotoxines relevés étaient supérieurs aux seuils acceptables fixés par l’UE et le Codex pour 25% des lots de récoltes mondiales de céréales et noix échantillonnés . !!!! Cette même étude concluait également que 60% à 80% des lots testés présentaient des mycotoxines détectables !!!! [10]

En ce qui concernent l’alimentation animale, le bétail peut être également contaminé en ingérant des moisissures dans le foin ou les céréales, et sa viande et son lait seront donc contaminés. Finalement, au sommet de la chaîne alimentaire, le corps humain peut héberger des mycotoxines, qui peuvent être excrétées, par exemple dans le lait maternel [11].

Rappel historique:
Une moisissure historiquement célèbre est l’ergot. Au Moyen-âge, il pouvait provoquer soit un problème vasculaire culminant avec une gangrène ou un problème neurologique résultant en des hallucinations. Les seuils d’ergot (normes américaines pour les grains) sont déterminés en proportion du poids des sclérotes par poids de grain. Par exemple, cela peut être un niveau de 10 à 15 corps d’ergot par kilogramme (2,2 livres) de graines de blé. [12]

Encore en 1951, à Pont-Saint-Esprit en France, une fameuse intoxication à l’ergot, présent dans le pain local, résulta en 5 morts, 50 internements en hôpital psychiatrique et 250 personnes atteintes de symptômes plus ou moins graves ou durables

Moisissures, le test


Compte tenu des niveaux actuels de mycotoxines dans les récoltes actuelles (présentes dans 60% à 80% des récoltes), il semble futile de réaliser des tests sur les patients car toute la population sera impactée dans une certaine mesure. De plus, il n’y a pas encore de consensus sur les tests. Affaire à suivre.

Conclusion

Le problème des moisissures dépasse le cadre des mauvaises pratiques alimentaires ou bien d’hygiène et sécurité de l’habitat.
En effet, les fongi occupaient la planète bien avant toute présence végétale ou animale. Les plantes et les animaux ont alors trouvé un moyen de prospérer en dépit des moisissures, mais en dernier ressort, les fongi reprennent leur place.
«Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière» pourrait être modifié en «Car tu es moisissure , et tu retourneras à la moisissure ».

Jusqu’à récemment, l’établissement médical a nié les effets fongiques sur la santé, en particulier en négligeant l’exposition chronique aux moisissures. Récemment, une image plus détaillée des multiples impacts fongiques a commencé à faire surface, ce qui peut aider à faire la lumière sur l’origine de certains cas de maladies chroniques «idiopathiques». Mais les recherches ne sont pas encore assez avancées pour calibrer une pathologie fongique chez un individu.

Dans un épisode ultérieur: comment résoudre les problèmes de moisissures

Bibliographie

[1] Commonwealth of Massachusetts, “Special Legislative Committee on Indoor Air Pollution, Indoor Air Pollution in Massachusetts,” April 1989

[2] James J. Pestka, Iwona Yike, Dorr G. Dearborn, Marsha D. W. Ward, Jack R. Harkema, « Stachybotrys chartarum, Trichothecene Mycotoxins, and Damp Building–Related Illness: New Insights into a Public Health Enigma »,Toxicological Sciences, Volume 104, Issue 1, July 2008

[3] T. L. Brasel, J. M. Martin, C. G. Carriker, S. C. Wilson, and D. C. Straus, “Detection of airborne Stachybotrys chartarum macrocyclic trichothecene mycotoxins in the indoor environment,”Applied and Environmental Microbiology, vol. 71, no. 11,pp. 7376–7388, 2005.

[4] R. Górny and T. Reponen, “Fungal fragments as indoor air biocontaminants,” Applied and Environmental Microbiology,vol. 68, no. 7, pp. 3522–3531, 2002.

[5] D. A. Creasia, J. D.Thurman, R. W. Wannemacher, and D. L.Bunner, “Acute Inhalation toxicity of T-2 Mycotoxin in the Rat and Guinea Pig,” Fundamental and Applied Toxicology, vol. 14, no. 1, pp. 54–59, 1990

[6] E. Ponikau J, Frigas, T. Gaffey, and G. Roberts, “The diagnosis and incidence of allergic fungal sinusitis,” Mayo Clinic Proceedings, vol. 74, no. 9, pp. 877–884, 1999

 [13] H. Hof, « Mycotoxins in milk for human nutrition: cow, sheep and human breast milk », GMS Infectious Diseases; 4: Doc03,  2016

 [7] W. Jedrychowski, U. Maugeri, F. Perera et al., “Cognitive function of 6-year old children exposed to mold-contaminated homes in early postnatal period. Prospective birth cohort study in Poland”, Physiology & Behavior, vol. 104, no. 5, pp. 989–995,2011.

[8] D.E.Bredesen, « Inhalational Alzheimer’s disease : an unrecognized and treatable epidemic. » AGING, Vol 8 No 2, ,  2016

[9] T. L. Somppi, « Non-Thyroidal Illness Syndrome in Patients Exposed to Indoor Air Dampness Microbiota Treated Successfully with Triiodothyronine », Frontiers in Immunology, 8: 919, 2017

[10] M. Eskola, G. Kos, CT. Elliott, J. Hajšlová, S. Mayar, R. Krska,« Worldwide contamination of food-crops with mycotoxins: Validity of the widely cited FAO estimate of 25% », Critical Reviews in Food and Science Nutrition, 3:1-17, 2019.

 [11] F. E. Jonsyn, S.M.Maxwell, and R. G. Hendrickse, “OchratoxinA and aflatoxins in breast milk samples from Sierra Leone », Mycopathologia, vol. 131, no. 2, pp. 121–126, 1995.

 [12] A. Friskop, G. Endres, K. Hoppe et al., « Ergot in small grains », North Dakota State University Publications,2018

[13] V. Valtonen, «Clinical Diagnosis of the Dampness and Mold Hypersensitivity Syndrome: Review of the Literature and Suggested Diagnostic Criteria. », Frontiers of Immunology , 8:951, 2017

[14] Marie-Alix d’Halewyn et al. (2002), « Les risques à la santé associés à la présence de moisissures en milieu intérieur » , DOCUMENT SYNTHÈSE, INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC ,