Anti-nutriments et sagesse des traditions culinaires

Savez vous que votre système n’est pas toujours en capacité de bénéficier de toutes les richesses des végétaux de votre alimentation, à cause des anti-nutriments qu’ils contiennent?

Ces anti-nutriments font souvent partie du système de défense de ces végétaux contre leurs prédateurs, incluant insectes et mammifères. Trois principaux sont l’acide oxalique, les phytates et les lectines.

Au cours de siècles la sagesse des traditions culinaires de divers pays a su contourner ces limitations pour optimiser la teneur en nutriments de leurs plats.

L’acide oxalique

Les épinards sont une des denrées qui contiennent le plus d’oxalates.

Certains consommateurs conscients de la valeur des végétaux, les consomment sous forme de smoothies verts. Les smoothies verts tels qu’on les connaît aujourd’hui ont émergé dans les années 1990-2000 aux USA, popularisés par le mouvement santé, raw food, et les tendances « clean eating ». Les chaînes de bars à jus et smoothies ont ensuite contribué à démocratiser cette boisson, en la rendant accessible.

Mais cette nouvelle boisson des pays occidentaux est-elle systématiquement bonne pour la santé? La réponse dépend du volume ingéré, de la composition des ingrédients et de la santé du buveur.

Un anti-nutriment présent dans beaucoup de légumes verts peut devenir problématique pour les reins quand il est consommé en grande quantité. C’est l’acide oxalique, présent en grande quantité dans les épinards, la rhubarbe, les betteraves et bien d’autres végétaux, mais aussi le chocolat et les amandes.

🥬Méfiance envers les smoothies verts au jus d’épinard cru:
Tout comme d’autres légumes verts, leur smoothie peut saturer les tissus d’acide oxalique et déclencher des néphropathies, comme l’illustrent ces deux cas médicaux répertoriés sur PubMed et Cureus.

En effet, quand l’acide oxalique est ingéré en l’absence de calcium dans les intestins, il a le potentiel de déclencher une cascade d’événements, chez les personnes susceptibles:

  1. passage direct dans le sang,
  2. combinaison avec le calcium présent dans le sang formant du calcium d’oxalate,
  3. déposition dans les reins sous forme de cristaux d’oxalate,
  4. déclenchement des fameuses coliques néphrétiques (calculs rénaux = 80% oxalate de calcium).
  5. et potentiellement déposition dans les extrémités (arthropathie oxalique).

C’est ainsi que beaucoup de plats traditionnels avec oxalates sont agrémentés de produits laitiers pour neutraliser les oxalates immédiatement dans le bol intestinal. La molécule créée est alors trop grosse pour passer dans le sang. Voici une application culinaire de ce principe dans divers pays :

🌍 Origine🥘 Plat🥬 Légume riche en oxalates
🧀 Produit laitier associé
🇮🇳 Inde
Palak Paneer
Épinards
Paneer (fromage frais)
🇮🇳 Inde
Saag + Lassi
Feuilles de moutarde / épinards
Lassi (yaourt dilué)

🇬🇷 Grèce
Spanakopita
Épinards
Feta
🇫🇷 France
Gratin d’épinards à la béchamel
Épinards
Lait, beurre, fromage râpé
🇮🇷 / 🇹🇷 Iran/Turquie
Borani-e Esfenaj / Ispanaklı yoğurtÉpinards
Yaourt nature
🇪🇬 Égypte

Molokhia + riz au lait / yaourt (variante)Molokhia (jute)Yaourt ou lait (en accompagnement)
🇮🇹 Italie
Pâtes aux blettes + ricotta
Bette à carde
Ricotta

🌍 Maghreb
Tajines verts avec sauce au lait caillé (rares)Épinards, blettesLeben / Lait caillé

Le trempage et la cuisson sont aussi deux autres moyens de neutraliser partiellement les oxalates (seulement pour les oxalates solubles).

Les phytates

Photo de Louise Cornelissen

L’acide phytique est un antioxydant présent naturellement dans l’enveloppe des graines des céréales, des légumineuses et des oléagineux. Il stocke du phosphore et différents minéraux (calcium, fer et zinc notamment), en prévision de la la germination où ceux-ci seront libérés grâce à des enzymes appelées phytases.
Dans les intestins, l’acide phytique peut former des complexes insolubles notamment avec le zinc, le calcium, le magnésium, le fer et le cuivre. Du fait de l’absence de phytase, une partie des nutriments n’est pas absorbée. Les phytates diminuent également l’activité des enzymes digestives impliquées dans la dégradation des protéines (pepsine et trypsine) et de l’amidon (amylase).

Les phytates ont aussi des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires bénéfiques dans la prévention et le traitement de plusieurs maladies et cancers.

Pour éviter d’ingérer trop d’acide phytique, on peut décortiquer les graines (et par exemple manger du pain blanc) mais cette méthode élimine aussi de précieux nutriments et fibres. Sinon, plusieurs méthodes permettent de neutraliser partiellement l’acide phytique, trempage, fermentation et germination, cuisson et torréfaction.

🥖 Fermentation traditionnelle du pain au levain VERSUS fermentation industrielle :
Lors d’une fermentation au levain (plusieurs heures à température ambiante ou basse), les enzymes phytases (présentes naturellement dans la farine) ont le temps de décomposer les phytates. Par contre dans le pain industriel, la fermentation est souvent très rapide (1 à 2 heures), voire accélérée avec des additifs. Celle-ci dégrade peu ou pas les phytates, et crée un pain avec une biodisponibilité réduite des minéraux.

Les Lectines

Photo de Vanessa Loring

Elles assurent une défense chimique dissuasive des plantes contre les insectes et animaux. Les aliments qui en contiennent le plus sont les légumineuses, les céréales et les pseudo-céréales (quinoa et sarrasin), les solanacées (tomate, concombre, aubergine, poivron, banane, pommes de terre, etc.) et les cucurbitacées (pastèque, melon, courge, courgette, etc.).
Selon la fréquence et la quantité ingérée, elles peuvent endommager le tube digestif et créer des réactions toxiques, inflammatoires et immunitaires.

Plusieurs méthodes permettent de neutraliser les lectines : l’épluchage, la cuisson, le trempage et la germination.

🫘 Attention au chili sin carne mal cuit !
En quelques heures, les lectines des haricots rouges mal préparés peuvent provoquer une intoxication alimentaire aiguë avec nausées, vomissements ou douleurs abdominales. En effet, quand les haricots sont juste trempés ou cuits à basse température, la phytohémagglutinine encore présente dans le plat déclenche un empoisonnement aux lectines.
👉 Pour éviter ça : faire tremper, jeter l’eau de trempage, puis cuire à gros bouillons au moins 10 minutes, idéalement 45 minutes à 1 heure.

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